Origine de l'abeille noire

L’abeille mellifère est une espèce très diversifiée présente sur la plus grande partie de la Terre. On en connaît au moins vingt-quatre sous-espèces. L’abeille noire (Apis mellifera mellifera) est la sous-espèce ouest-européenne de l’abeille mellifère. C’est l’abeille indigène en Belgique. L’abeille noire est une abeille très rustique convenant bien au type d’apiculture pratiquée par la majorité des apiculteurs wallons (ruchers sédentaires conduits de manière plutôt extensive). Elle est aussi résiliente, c’est-à-dire qu’elle sait faire face à des situations de choc, de stress. Elle passe sans encombre les périodes trop pluvieuses, trop sèches, les hivers trop doux ou au contraire trop froids ou trop long. La reine adapte sa ponte et les abeilles élèvent avec prudence. La noire ayant une longévité supérieure à d’autres sous-espèces ou race, la colonie s’en tire à bon compte et est aussi vaillante qu’une autre, grâce à son côté économe et prudent.

État du cheptel et perspectives

Au XIXe siècle, la Wallonie disposait d’une population d’abeilles noires intacte distribuée sur l’ensemble du territoire. Cependant, la région n’a pas échappé aux tendances de fond observées au niveau européen : vers 1850, certains apiculteurs se tournent vers des races allochtones plus domestiquées et ayant déjà subi un travail d’amélioration génétique.

Les apiculteurs ne contrôlent pas l’accouplement de leurs abeilles et les abeilles indigènes se croisent alors avec les abeilles importées. Ces croisements et rétrocroisements conduisent à une dégradation du cheptel au profit d’une abeille abâtardie, souvent agressive.

 

Aujourd’hui, l’élevage de l’abeille carniolienne, caucasienne (autres sous-espèces) ou Buckfast (race d’abeilles croisée mise au point par le frère Adam) est de plus en plus pratiqué, au point que l’abeille noire est très introgressée (« croisée ») ou a disparu de la plus grande partie du territoire belge. La concurrence des autres races n’a jamais été aussi forte. L’utilisation continue de ces races finira par faire disparaître à tout jamais l’abeille noire, un patrimoine génétique irremplaçable.

Explications :

Érosion génétique

La biodiversité de l’abeille a été préservée jusqu’au moment où l’homme a commencé à pratiquer l’apiculture, et donc à domestiquer l’abeille. La domestication est restée très sommaire jusqu’à la moitié du XIXe siècle, avant l’invention des ruches modernes. Cependant, l’élevage des abeilles dans des ruches fixes implique tout de même l’utilisation de techniques d’élevage rudimentaires. Ces techniques entraînent automatiquement une certaine pression de sélection sur la population d’abeilles, et donc une diminution de la diversité biologique; le mécanisme de l’érosion génétique est donc enclenché et il va s’amplifier ! …

 

Examinons d’abord comment l’apiculture traditionnelle ou fixiste pratiquée au siècle dernier a pu influencer la biodiversité et produire une abeille qui aujourd’hui encore a tendance à porter les traces de ces temps révolus.

Asphyxie des colonies

On asphyxiait jadis les colonies pour récolter le miel; les cloches les plus lourdes qui donneraient beaucoup de miel et les plus légères qui, faute de provisions suffisantes, mourraient durant l’hiver étaient sacrifiées. Pour maintenir un cheptel constant dans les ruchers, les colonies devaient donner de nombreux essaims chaque année. Inconsciemment, les apiculteurs de l’époque ont donc favorisé les souches avec un taux d’essaimage élevé. Cette sélection s’est poursuivie pendant des siècles; elle a diminué la variabilité génétique de l’abeille en contribuant à la régression des souches moins essaimeuses.

La « chasse »

D’un autre côté, certains comportements considérés aujourd’hui comme des défauts ont été favorisés par les apiculteurs pendant de nombreuses années. Ainsi, on reproche à l’abeille noire son agitation sur les cadres. Ce caractère a été sélectionné par une technique ancienne encore en vigueur dans le sud de la Belgique vers 1940, la chasse d’abeilles. Le transvasement d’une cloche en vue de la récolte était effectué par tapotement : cela consistait à faire monter les abeilles d’une cloche pleine, renversée, dans une cloche vide placée au-dessus de la première en la tapotant régulièrement à l’aide de deux bâtons. A cette époque, les abeilles très nerveuses qui quittaient facilement leurs cadres ont été favorisées. Cette caractéristique est encore bien présente chez l’abeille noire peu sélectionnée d’aujourd’hui.

 

 

 

 

 

Deux cloches superposées pour la réalisation d’une chasse

(d’après P. Marchenay, L’homme et l’abeille, édition Berger-Levrault)

Photo de www.mellifica.be

Conception erronée

La conception erronée encore en vigueur aujourd’hui, selon laquelle les colonies agressives sont de meilleures productrices a aussi contribué à la détérioration des qualités de l’abeille noire. Les colonies agressives sont souvent des colonies croisées; de temps à autres, elles se distinguent par leur productivité, mais il est évident que l’on trouve aussi des colonies non croisées, douces et très productives. Malheureusement, le maintien de ces colonies croisées dans les ruchers a amplifié le processus d’érosion génétique.

Des dégâts irrémédiables…

Avec les ruches modernes, des techniques d’élevage plus sophistiquées apparaissent. Parmi ces techniques, une seule d’entre elles retiendra notre attention car elle fut la plus destructrice de toutes; il s’agit de l’importation d’abeilles étrangères, appartenant donc à une autre race qu’à l’abeille noire. Elle a pour conséquence immédiate l’apparition de colonies croisées et un métissage généralisé, les colonies croisées se reproduisant à leur tour avec des colonies indigènes, etc.

 

Les dégâts sont irrémédiables. Il a fallu assister, impuissant, à la régression et à la fragmentation de l’aire de distribution de l’abeille indigène au profit des abeilles croisées. Dans plusieurs régions, l’abeille noire a quasi disparu. Ailleurs, le pool génétique de l’abeille indigène correspond bien à celui de l’abeille noire, mais on y trouve le plus souvent des traces de croisement (introgressée génétique). L’érosion génétique a atteint des proportions jamais égalées jusqu’ici.

Sources Mellifica